Donner à la nature une existence juridique

Le couscous et les savoir-faire horlogers ont été admis au patrimoine culturel immatériel de l’UNESCO. Il égaie nos palets pour l’un et participe à la richesse de notre région pour l’autre. Ils sont tout deux pleinement reconnus par les communautés et individus de notre société.

Pourquoi dès lors ne pas donner une existence juridique aux sapins des Franches-Montagnes, aux forêts ajoulotes, au Doubs, aux cours d’eau de la Vallée ou encore à l’air que nous respirons afin de donner à ces biens les moyens d’exister en droit et de se défendre.

En Suisse, la protection de la nature et du patrimoine relève en particulier de la compétence des cantons (art. 78 al. 1 Cst). Au niveau cantonal, l’État jurassien et les communes protègent l’homme et son milieu naturel contre les nuisances ; ils combattent la pollution de l’air, du sol, de l’eau ainsi que le bruit (art. 45 CstJU). Le Gouvernement représente l’État jurassien qui est souverain.

Les choses sans maître et les biens du domaine public sont soumis à la haute police de l’Etat sur le territoire duquel ils se trouvent (art. 664 al. 1 et 3 CC). Les cours d’eau, les étangs, le sous-sol, les nappes phréatiques notamment sont des biens appartenant, à tout le moins en partie, au domaine public. L’air, la forêt jurassienne, la faune et la flore sont également concernés.

Qui pour défendre ces biens naturels et contre qui ?

L’Office cantonal de l’environnement veille à la préservation et à l’utilisation durable des ressources naturelles, à la protection de l’homme et de son cadre de vie contre les nuisances excessives et à la gestion des risques naturels ou industriels. Il continuera évidemment à remplir ces fonctions.

Le Ministère public cantonal, soit les procureur∙es, est au cœur de cette motion. Depuis plusieurs années, les procureur∙es ont dû s’adapter à l’activité humaine et à la criminalité qui en découle. Ils∙elles se sont spécialisé∙es dans la criminalité économique et fiscale notamment. Pourquoi ne pourraient-il∙elles pas le faire également en matière de criminalité environnementale ?

Ces services auraient alors la compétence pour agir, dénoncer et intervenir en cas de nuisances portées aux biens appartenant à la Nature, en prenant et en imposant toutes les mesures nécessaires allant dans ce sens.

Un des premiers effets de cette personnalité juridique attribuée aux biens naturels serait de leur réserver exclusivement et intégralement le produit des amendes sanctionnant toute atteinte à l’environnement. Il y en a certainement pour quelques dizaines de milliers de francs par année.

Or, aujourd’hui, l’État cantonal encaisse ces amendes qui alimentent la trésorerie générale. Si les biens naturels étaient reconnus dans leur intégrité juridique, ils pourraient alors percevoir eux-mêmes le produit des atteintes qu’ils subissent et les affecter à la réparation et au développement de ces biens.

Evidemment, les montants prévus au budget ordinaire de l’État ne sauraient d’aucune manière être impactés par le produit des amendes. L’Office de l’environnement est chargé de la bonne gestion de ces fonds.

Un autre exemple : la pollution de l’air.

Aujourd’hui, l’État intervient fortement vis-à-vis de l’activité de l’homme à cause de la Covid, en disant qu’une pandémie met en danger la santé publique et justifie toutes sortes de mesures (fermeture des restaurants par exemple). L’État prend ses responsabilités.

Il devrait également pouvoir le faire en cas de pic de pollution, en été, dans nos petites villes jurassiennes. Si l’air que nous respirons avait un statut juridique, les services de l’État (Office de l’environnement et Ministère public) devraient alors intervenir pour protéger ce bien et imposer toutes mesures utiles allant dans ce sens (limitation de vitesse, circulation alternée, etc.). Ces actions des services de l’État devaient pouvoir être dirigées contre des particuliers et contre le Gouvernement lui-même, responsable de ne pas prendre les mesures suffisantes pour protéger les biens naturels.

Dans un autre registre, est-il normal que la 5G ait pu s’installer dans notre région sans que le Gouvernement jurassien ait eu son mot à dire, ou presque ? On sait pourtant que l’accès à la 5G aura comme conséquence une augmentation de notre consommation énergétique et des effets sur la santé, notamment pour les personnes présentant des troubles d’électro-sensibilité. Les biens de notre nature sont donc touchés. S’ils avaient une personnalité juridique, ils pourraient alors agir et se défendre.

Ces biens naturels sujets de droit disposeraient de droits et non de devoirs. Ainsi, on ne saurait condamner le Doubs en cas d’accident de canoé ou une forêt en cas de chutes d’arbres ou d’accident d’un VTT sur un chemin.

La Colombie, l’Équateur, l’Inde ont attribué à certains biens naturels une personnalité juridique. On ne serait donc pas les premiers à doter la Nature d’un statut juridique. Allant partiellement dans le sens de cette motion, l’État français vient d’être condamné par un tribunal à Paris pour son inaction politique en matière de protection de l’environnement. Il a été tenu responsable d’une partie du préjudice écologique constaté en France.

À l’heure où on réfléchit à attribuer une personnalité juridique aux robots, il est plus qu’opportun d’y penser pour notre Nature jurassienne. Aujourd’hui, en matière d’environnement, il faut commencer par penser autrement avant de faire autrement. C’est le but de cette motion.

Le Gouvernement jurassien est invité à entreprendre toutes les démarches législatives utiles et nécessaires afin de réaliser l’objectif de cette motion.

Christophe Schaffter

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